Steve, une violence policière parmi tant d’autres ?

19 juin 2020 à 8h27 par Emilie PLANTARD

HIT WEST
Crédit : @Nantes Révoltée/Facebook

Steve Maia Caniço avait 24 ans et il y a un an, il participait avec quelques amis à la fête de la musique à Nantes, près des murs de son du Quai Wilson. Vers 4 heures du matin, alors qu’une centaine de participants dansaient encore, la police s’est chargée de faire cesser la musique et évacuer les fêtards, à l’aide de gaz lacrymogènes. Plusieurs personnes sont alors tombées dans la Loire. Steve, lui, a disparu. Son corps a été repêché près d’1 mois plus tard. Depuis, 3 informations judiciaires ont été ouvertes par le juge d’instruction de Rennes. On est encore bien loin d’un quelconque procès.

Pierre Huriet est un avocat nantais, il a suivi une dizaine de dossiers de plaintes liées à des violences policières en marge de manifestations, aucune n’a pour l’instant abouti. Il dénonce un manque de volonté, de la part du procureur de Nantes notamment, de mettre en cause des policiers dans la pratique de leurs fonctions.

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"Moi ce que j’observe, c’est que tous les dossiers de violences policières sur Nantes, à part peut-être l’affaire de Steve, mais elle a échappé au procureur puisque c’est un juge d’instruction qui a été saisi, tous les dossiers de violences policières sont soit en cours d’enquête extrêmement longue, alors qu’il ne se passe pas grand-chose, soit classés sans suite. Et classé sans suite pour des motifs qui apparaissent fantaisistes puisqu’on dit qu’il n’y a pas d’infraction, soit on répond à nos clients qu’ils ont participé à des manifestations violentes, donc ne vous étonnez pas de subir de la violence, soit on nous explique qu’on ne peut pas trouver l’auteur de l’infraction."

Des délais censés être raisonnables

A Nantes, les interventions musclées des forces de Police au cours des manifestations, il y en a d’autres, sont récurrentes. Certaines entraînent des blessures plus ou moins graves et aboutissent à des plaintes de la part des victimes de ces violences, qui atterrissent dans le bureau du procureur. Ces procédures sont tout à fait possibles, mais elles souffrent de lenteurs. Et sont souvent vouées à l’échec.

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"Déposer plainte, déjà, ça peut être intimidant, mais ensuite, c’est plusieurs mois sans qu’il ne se passe strictement rien, malgré les relances de l’avocat. Au bout d’1 an, 1 an1/2, on a péniblement une réponse du procureur de la république qui dit, circulez, il n’y a rien à voir, non-lieu. Ce n’est qu’après le classement sans suite qu’on peut obtenir le dossier et éventuellement voir les suites à donner. Et je comprends la perte de motivation de certains de mes clients qui m’ont contacté et qui, 2 ans après, non, je ne vais pas saisir maintenant un juge d’instruction, verser une somme à l’Etat pour prouver ma bonne foi, ce qu’on appelle une consignation, pour ensuite attendre 2, 3, 4 ans pour qu’éventuellement quelque chose se passe."

Une nécessaire transparence

On peut imaginer que les échecs des procédures créent un sentiment d’impunité chez certains policiers et que ce sentiment d’impunité provoque un sentiment de défiance au sein de la population. Or, ce cocktail ne peut-il pas un jour aboutir à une soirée de cauchemar, telle que l’a vécu Steve en 2019… ? Aujourd’hui, plusieurs avocats constatent que les policiers se protègent contre d’éventuelles poursuites.

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"Il y a vraiment une difficulté maintenant sur le terrain qu’est la défiance des forces de l’ordre vis-à-vis de la prise d’images. S’ils n’avaient rien à cacher, pourquoi s’obstiner à arracher les caméras, à les repousser, les interdire, etc. Mais il y a surtout la question du matricule. On pouvait comprendre, en risque terroriste important qu’ils ne puissent pas décliner leur identité, mais au moins un numéro de matricule. Même afficher un numéro pour qu’on puisse éventuellement les retracer dans une procédure, même ça ils ne le font pas. C’est-à-dire que, même ce premier pas qui serait fait vers un début de transparence, n’est pas respecté, c’est terrible."

Un manque de volonté politique

Pourtant des solutions, les avocats en imaginent. Pour Pierre Huriet, la réponse doit avant tout être politique. Pour ne pas opposer population et forces de l’ordre, ne pas imposer des chiffres d’interpellations mais juste reconnaître les torts quand il y en a, quitte à écarter les mauvais éléments de la Police, s’il y en a.

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"Il y a beaucoup de choses à faire et ce n’est pas une réponse simple. Plus d’encadrement, plus d’officiers. Du côté de la Police, plus de gens avec du sang-froid, du recul, une vision d’ensemble. Il faut peut-être aussi revenir à une doctrine du maintien de l’ordre où on est sur une logique de canalisation de la foule, de canalisation de l’émeute si ça dégénère, mais on ne va pas essayer de faire du chiffre. On ne va pas au contact. Il y a aussi la formation, il y a aussi, surtout, une volonté politique forte, pour sanctionner, faire des procédures pour trouver les coupables, avoir le courage de faire ces procédures, et de dire, quand untel ou untel a complètement dérapé. Ne pas essayer de couvrir l’institution à tous prix, au risque de la décrédibiliser."

Concernant Steve, le premier rapport de l’IGPN avait exclu la responsabilité des forces de l’ordre dans sa disparition. Cependant, un second rapport de l’Inspection Générale de l’Administration avait pointé un manque de discernement du donneur d’ordre et une réponse inappropriée, sur une zone isolée à proximité immédiate des bords de Loire. Le commissaire Chassaing, qui avait mené l’opération, a depuis été muté. Aujourd’hui, la famille et son avocate sont en attente de l’information du dernier bornage du téléphone de Steve. Une marche est organisée à Nantes, dimanche 21 juin, au départ de la préfecture.