Le projet polémique d'une usine de méthanisation XXL à Corcoué-sur-Logne

15 février 2021 à 7h14 - Modifié : 13 octobre 2021 à 10h35 par Dolorès CHARLES

HIT WEST
Crédit : Cédric Mané (Hit West)

Le méthaniseur « XXL » n'est encore qu'un projet, le permis de construire n'est même pas encore déposé, mais il fait déjà débat au sud de la Loire-Atlantique. Reportage à Corcoué-sur-Logne de Cédric Mané.

Direction Corcoué-sur-Logne ce matin, où une coopérative de 230 éleveurs bovins met en route une usine de méthanisation. Elle consommerait cinq fois plus de lisier que le plus gros des méthaniseurs actuellement en fonction en France : 548 000 tonnes d'effluents d'élevage « valorisés ». Pour en trouver un de taille équivalente, il faut se rendre au Danemark, où la production porcine nécessite – ou permet – le fonctionnement de ce genre de machine. Et c'est justement une entreprise danoise, qui devrait mettre en route d'ici à 2023 le projet baptisé « Métha Herbauges Corcoué », s'il est validé.

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Un nouveau métier

Ici, les agriculteurs espèrent beaucoup de ce méthaniseur : des revenus avec la vente de l'énergie produite - du biogaz, de l'emploi avec la promesse de l'équivalent d'un emploi au SMIC par exploitation, d'après le business plan, et des économies avec moins de dépenses en engrais, puisque le lisier méthanisé permet la production de digestat riche en matière organique. Le directeur de la coopérative d'Herbauges, Guillaume Voineau, est lui-même intallé avec deux associés à Beaufou au nord de la Vendée, où il élève 150 vaches laitières et à viande sur une centaine d'hectares. Il explique qu'avec ce projet, l'agriculteur se crée un nouveau métier :

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« L'idée c'est que les agriculteurs gardent leur système d'élevage, mais qu'ils produisent de l'énergie en plus des denrées alimentaires. Les agriculteurs sont « énergiculteurs », en plus de produire de la viande, de lait... »

Comment cela va fonctionner ?

C'est assez simple techniquement : les effluents sont rassemblés dans le méthaniseur qui, par un système de chauffage à bois, va « recycler » les effluents animaliers en engrais et en biogaz :

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« On va emporter nos effluents au méthaniseur et on va récupérer du digestat, ce qui va nous permettre de diminuer d'environ 35% nos achats d'engrais chimiques achetés à Montoir (port d'arrivée des engrais, près de Saint-Nazaire). La minéralisation de ces effluents nous permettra d'avoir des engrais pour nos plantes, utilisables en agriculture conventionnelle ou biologique ».

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L'intérêt est aussi financier. L'objectif est d'économiser sur les achats d'engrais en les produisant eux-mêmes, et d'obtenir un retour sur investissement en vendant une partie de l'énergie produite (du gaz). C'est une nouvelle source de revenu :

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« Il faut qu'on remette une dynamique, on est dans un modèle qui est en difficulté depuis très longtemps, il faut que le projet soit rentable. Ce sont les agriculteurs qui sont majoritaires dans les parts, ça veut dire que chaque agriculteur aura un retour de dividendes sur cette prise de parts, entre le retour par le capital et l'intérêt, et l'économie d'achat d'engrais avec l'épandage d'effluents. On estime l'économie à l'équivalent d'un SMIC, donc un emploi ».

Les opposants nombreux

Mais à Corcoué-sur-Logne et dans les environs, la taille du projet questionne des habitants et certains agriculteurs. Ils étaient 600 à manifester ce week-end contre ce projet de méthaniseur XXL. Les points de friction sont nombreux à commencer par la dimension. Bruno Clamer, éleveur à Saint-Même-le-Tenu :

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« Je ne suis pas contre la méthanisation, mais contre la méthanisation de cette taille-là. Il y en de taille humaine, les gens qui la pratiquent chauffent leur maison et leur eau avec. A petite échelle c'est envisageable, mais de cette taille c'est écologiquement pas responsable ».

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Claude Naud, maire de Corcoué-sur-Logne pointe lui aussi la dimension industrielle du projet:

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« Cette production de gaz peut tout à fait être fondée sur des principes de méthanisation à une échelle humaine et locale, à l'échelle d'exploitation, et non pas à échelle industrielle. Ici, c'est nous mettre en dépendance d'un consortium alimenté par des fonds de pension. Si on veut produire du gaz, ça ne sera pas à n'importe quel prix. Ne confondons pas transition écologique et transition énergétique ».

Les vaches ne seront pas au champ

Bruno Clamer relève que le projet serait, selon lui, contre nature, et ça se voit dès la présentation : il prédit des vaches élevées en bâtiment, et plus dans les champs, une grande partie de l'année.

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« J'ai eu l'occasion de voir la présentation du projet, et quand ils font voir le diaporama, ils mettent en avant des vaches au champ. Mais nous en tant qu'agriculteurs, on sait très bien que le fumier qui ira dans le méthaniseur ne viendra certainement pas d'une vache au champ, il viendra d'une vache en bâtiment. Les vaches, on sait que l'hiver elles vont passer du temps en bâtiment : quand on fait de lourds investissements pour la méthanisation, on sait que ça tend à ne plus sortir les vaches au printemps, aux beaux jours ».

Europe Ecologie contre le projet

Le parti Europe Ecologie Les Verts s'est déjà opposé au projet. Denis Brochu, du bureau de Nantes, y voit un changement de métier des agriculteurs, selon lui pas souhaitable :

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« Le but d'un agriculteur, ce qui fait sa noblesse, c'est de nourrir la population, or là on va leur demander de devenir producteurs d'énergie. Ce n'est pas du tout leur vocation. Qui dit producteur d'énergie dit culture intensive et élevage intensif... La méthanisation, on n'est pas foncièrement contre lorsque c'est à petite échelle. D'ailleurs il existe déjà des structures organisées par les agriculteurs eux-mêmes, sur dix ou quinze exploitations, pourquoi pas. Mais fonctionner comme ils veulent fonctionner sur plusieurs centaines d'exploitations, on est vent debout face à ce projet ».

Le quotidien des riverains impacté ?

Il y a des inquiétudes liées à la vie quotidienne sur la commune. Comme de nombreux riverains, Damien Olivier s'inquiète du nombre de passage de camions que le projet va engendrer :

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« Ça m'inquiète énormément, un car scolaire ne peut déjà plus croiser une voiture sur nos petites routes, vous imaginez 180 passages de camions de 38 tonnes par jour autour du site, ça sera très compliqué, les enfants ne pourront plus faire de vélo ! »

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Le maire de Corcoué-sur-Logne annonce qu'un débat local sera organisé. La commune voisine de la Marne serait intéressée pour accueillir le projet, mais selon Claude Naud, « dans tous les cas, cela continuera de poser le même problème ».

Un reportage de Cédric Mané.